Le naturopathe et les plateformes de réservation

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Octobre 2022, Doctolib vient d’annoncer la suppression de sa plateforme des praticiens non référencés par les autorités sanitaires. Exit donc les naturopathes, sophrologues, hypnothérapeutes et autres professionnels de “santé alternative”. Si cette décision peut être perçue comme une victoire du camp des pourfendeurs des médecines douces, la disparition de Doctolib du secteur de la naturopathie est aussi une opportunité de redonner aux naturopathes la main sur leur activité. Je vous propose une réflexion autour de ces plateformes de réservation.

 

Doctolib, un leader sous le feu des projecteurs

Retour au mois d’août 2022. Un twitto @Unreadu93 proche des NoFakeMed, collectif de professionnels de santé qui s’est donné pour mission d’alerter sur le danger des « fake médecines », interpelle Doctolib dans un tweet tout en mesure et en subtilité :

 

 

Doctolib prend le temps de lui fournir une réponse et le collectif des NoFakeMed y voit une belle opportunité de créer une polémique. Le tweet initial est massivement relayé et commenté par ses membres et tous ses sympathisants.

C’est le compte Twitter de l’Extracteur qui fera basculer la polémique en dehors de la twittosphère en exhumant une vidéo d’Irène Grosjean qui parle des bains dérivatifs. La presse prend alors le relais et Doctolib se retrouve à devoir se justifier de la promotion de praticiens favorables à l’attouchement des enfants. Entre les raccourcis et la volonté manifeste de salir la naturopathie, les débats médiatiques sont à ce niveau de mauvaise foi et d’absence de contradiction… ou comment passer d’un tweet plein de fiel à un bad buzz en quelques jours.

Après plusieurs mois de réflexion et de concertation avec des acteurs du monde de la santé, le leader français de la réservation en ligne est obligé de se plier à la volonté des autorités médicales, politiques et médiatiques. Pour continuer à dérouler son business plan, Doctolib ne peut en aucun cas se mettre à dos les décideurs en place. On peut légitimement penser que le sort des professionnels non conventionnés sur la plateforme était donc joué avant même le début des discussions. Près de 6000 praticiens vont devoir se passer de cette plateforme pour le développement de leur activité.

 

Vers un nouvel équilibre du marché de la naturopathie

Est-ce que le départ de Doctolib du marché de la naturopathie est une mauvaise nouvelle ? Le préjudice pour les naturopathes est avant tout lié à l’image biaisée qui a été relayée pendant la polémique. Les médias n’ont absolument pas fait leur travail d’investigation, ni tenu une ligne impartiale dans cette affaire. L’écho médiatique a été néfaste mais nous pouvons penser que cette histoire va vite être oubliée comme tout le reste.

Toutefois, le retrait de Doctolib sur le secteur de la naturopathie va avoir des conséquences bien plus pérennes sur la gestion de la relation digitale entre un naturopathe et ses clients. En effet, aujourd’hui, Doctolib cannibalise une partie significative du flux digital autour de la naturopathie. Il suffit de se rendre sur Google pour s’apercevoir que le site doctolib.fr est systématiquement dans le TOP3 des résultats sur les requêtes “naturopathie” ou “naturopathie + VILLE”. Cette place hégémonique sur le marché de la naturopathie ne tient pas à la pertinence de Doctolib sur cette thématique car la plateforme ne connaît rien à ce métier et n’en fait pas particulièrement sa promotion.

 

La puissance, critère majeur de visibilité dans les moteurs de recherche

Mais alors comment Doctolib en est-il arrivé là ? La réponse est simple : par sa puissance. Les moteurs de recherche favorisent énormément la logique de volume et Doctolib est un poids lourd en nombre de pages (ils indexent même les professionnels qui ne sont pas inscrits dans leur annuaire). Entre leur expertise en matière de référencement naturel et leur volume de pages indexables, Doctolib s’est accaparé les premières places dans les moteurs de recherche et le flux de clients qui va avec. Avec le départ des naturopathes de sa plateforme, Doctolib n’aura plus les contenus pour maintenir ses positions sur le marché de la naturopathie, laissant plus de place pour les naturopathes ou pour les autres plateformes de réservation…

À l’heure actuelle, la tendance est déjà très inquiétante. Pour la majorité des grosses agglomérations françaises, les résultats de recherche sur la requête “naturopathie + VILLE” sont trustés par les plateformes de réservations. Sur les 10 premiers résultats, on retrouve entre 3 ou 4 sites de naturopathe qui se maintiennent en bas de page et qui ne sont donc pas ou peu cliqués… Pour le reste, l’internaute a le choix entre plusieurs plateformes : Médoucine, Doctolib, Resalib, Therapeutes.com, etc.

 

Plateformes de réservation et perte d’autonomie du naturopathe

Ce n’est pas tous les jours qu’un acteur hégémonique quitte du jour au lendemain un de ses marchés. Cet appel d’air est l’occasion de se poser les bonnes questions sur les avantages et les inconvénients des plateformes de réservation.

Commençons d’abord par les avantages. Ils tiennent finalement en un seul mot : simplicité. Simplicité pour le naturopathe qui va déléguer à un tiers la gestion de sa présence en ligne et sa relation client (en amont avec la réservation et en aval avec la gestion des avis). Simplicité également pour le client qui peut réserver en 2 clics et qui se sent rassuré par le cadre proposé (ergonomie, relance SMS, validation des profils, etc.).

Au niveau des inconvénients, il y a bien entendu le coût (plus de 100 € par mois chez Doctolib) mais surtout la dépendance du naturopathe à ce service. Avec une partie importante de l’expérience client qui est sous-traitée à la plateforme, le praticien n’est plus complètement maître de la relation avec son client. Vous devez vous contraindre au fonctionnement de la plateforme et le rapport de force devient rapidement défavorable au praticien.

 

Naturopathe, l’heure du choix

Finalement, en ne misant que sur une plateforme de réservation, le naturopathe va être “hors sol”. Il ne va pas cultiver suffisamment  l’autonomie de son activité et va plutôt favoriser des acteurs “industriels” capitalisant finalement sur les informations saisies par le praticien.

N’avoir qu’un compte Doctolib pour promouvoir son activité de naturopathie, c’est comme faire toutes ses courses chez Amazon. C’est simple et pratique mais ça favorise un acteur hégémonique et une certaine vision du monde.

En tant que naturopathe, ne sommes-nous pas attentifs à la notion d’équilibre ? Il semble donc plus juste de trouver une configuration diversifiée, qui mixe quelques courses au supermarché, un peu d’AMAP et un potager à la maison. Ce qui reviendrait à faire un petit site web, une inscription sur une plateforme plus “éthique” ou à produire des contenus nous-même.

Il n’y a pas de modèle idéal : à chaque naturopathe de trouver son dispositif propre en fonction de ses moyens, de ses expertises mais aussi de ses envies.

 

Une opportunité unique pour la naturopathie

Je vois le départ de Doctolib du marché de la naturopathie comme la fermeture de la grande surface à la périphérie d’une ville moyenne. C’est une occasion unique de redonner vie à nos devantures d’indépendants.

Dans les années 80, les grandes surfaces ont siphonné les centres-villes en proposant de la facilité (accessibilité, centralisation des offres) et du prix (meilleure négo avec les fournisseurs). L’expertise restait bien chez le commerçant spécialisé mais cela n’a pas suffi pour faire face à la puissance (toujours elle) des grandes surfaces.

Nous avons la chance de voir la plus grosse enseigne, Doctolib, quitter le marché de la naturopathie. C’est donc le moment de décider individuellement de quel circuit de distribution nous voulons bénéficier pour notre offre. Je sais que ces mots du marketing paraissent vulgaires quand il s’agit de les associer avec les métiers de l’accompagnement mais c’est pourtant bien ce qui se joue en ce moment.

 

Appel aux instances professionnelles

Pour ma part, j’essaye de cultiver au maximum mon autonomie vis-à-vis des plateformes de réservation. C’est beaucoup de temps et d’efforts mais je construis un capital qui j’espère va fructifier sur le long terme. La démarche est finalement identique à celle que j’entreprends quand je galère à faire un bout de potager ou quand je m’occupe de mes ruches. Je suis très loin de l’autonomie mais, au moins, je suis en chemin.

Enfin, je lance un appel aux représentants de notre profession, et notamment à la FENA et à l’OMNES, pour qu’ils puissent mener de vraies réflexions sur ce sujet. N’est-il pas envisageable que nos instances nationales puissent fournir un service identique à celui des plateformes de réservation ? Je suis certain que la majorité des naturopathes serait prête à favoriser une plateforme proposée par nos instances professionnelles à service équivalent.

Il est temps de reprendre notre destin en main et de faire preuve de cohérence entre les valeurs de la naturopathie et le choix de nos intermédiaires. Ne laissons pas la place pour un nouveau Doctolib !

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