L’immersion initiale
Il fut un temps où l’homme était indissociable du reste du vivant. Avait-il les moyens de faire autrement me direz-vous ? La Nature était son lieu de vie et il était en interaction permanente avec elle pour trouver sa nourriture ou se soigner. Cette proximité lui offrait une excellente compréhension du vivant sans avoir besoin d’explication scientifique à tout ce qu’il observait. C’est Aristote au IVe s. av. JC qui le premier se lança dans l’étude et l’analyse de la Nature. Il le fit en gardant sa fascination pour le vivant. L’esprit scientifique était en marche mais le rapport entretenu restait équilibré et respectueux.
Un lien rompu
La posture va évoluer rapidement avec les progrès technologiques jusqu’à la fameuse phrase “Se rendre comme maître et possesseur de la nature” de Descartes dans son Discours de la méthode (1637). Si Descartes évoquait avant tout une volonté de libération de l’homme de l’obscurantisme et des justifications magiques, cette phrase marque toutefois une rupture dans le rapport entre l’homme et son milieu : la Nature est démystifiée et devient un objet analysable, déchiffrable et, de fait, exploitable. De là va naître un fantasme d’hégémonie de l’homme sur le reste du vivant qui va s’exprimer dans tous les domaines, y compris la santé.
L’homme s’extirpe
En santé, les facteurs environnementaux ont longtemps été pris en compte. Hippocrate appréhendait l’environnement de ses patients pour identifier l’origine des maladies. Au XVIIIe s., la “théorie des miasmes” animait les enjeux de santé : la qualité de l’eau et de l’air était systématiquement étudiée en cas d’épidémie. C’est finalement Pasteur à la fin du XIXe qui mit au placard la médecine environnementale : le seul ennemi à combattre est le microbe et l’homme devient alors comme imperméable à son environnement grâce à la technologie.
Vers l’écologie
Cette vision dans laquelle l’homme est extérieur à la Nature est d’ailleurs lisible quand le biologiste Ernst Haeckel définit l’écologie comme “la science des relations des espèces animales dans leur milieu environnant » (1866). L’homme est exclu des espèces animales et, au passage, l’homme blanc est propulsé tout en haut de la pyramide de l’évolution… C’est véritablement dans les années 1970 qu’on voit l’émergence de théories qui proposent de replacer l’homme au cœur du vivant, notamment l’Hypothèse Gaïa de James Lovelock. Ces visions sont concomitantes des premières alertes sur le dérèglement climatique lié à l’activité humaine. La pollution devient de plus en plus perceptible et la multiplication des maladies civilisationnelles (cancers, obésité, diabète, maladies auto-immunes) nous obligent à reconsidérer les facteurs environnementaux en santé.
Un être comme les autres
Que partage l’homme avec le reste du vivant ? Nous partageons déjà une membrane qui délimite un dedans et un dehors : l’homme a la peau, la bactérie une paroi cellulaire et la Terre une atmosphère. Au sein de cette membrane, tous les êtres vivants maintiennent un milieu régulé qui permet leur fonctionnement. Ce concept d’homéostasie est valable aussi bien pour les animaux, les végétaux ou encore les virus. Enfin, chaque être vivant met en place un équilibre dynamique semi-ouvert entre le milieu intérieur et le milieu extérieur afin de bénéficier de sources d’énergie et d’évacuer des produits de dégradation. Bref, nous présentons en tant qu’humain la même fragilité que le reste du vivant : un équilibre précaire entre création et destruction, dans une interaction permanente et vitale avec notre environnement.
Les poupées russes
Le vivant n’est qu’imbrication et symbiose : une cellule habite un tissu, un tissu habite un organe, un organe habite un organisme, un organisme habite une espèce, une espèce habite un écosystème et un écosystème habite la Terre. Chaque échelon représente le milieu extérieur de sa brique constitutionnelle et l’homme n’est qu’un échelon de cette poupée russe du vivant. Les dernières recherches confirment cette lecture : influence du microbiote intestinal sur notre comportement ou encore découverte que 10% de notre génome provient du matériel génétique de virus (merci les rétrovirus pour la création du placenta). Même nos cellules sont la preuve de cette imbrication avec une mitochondrie, structure en charge de la production d’énergie, qui est le vestige d’une bactérie “avalée” (endocytose) par notre cellule ancestrale. Le vivant est une continuité. La scission n’est pas viable.
Le fantasme de l’autonomie
Difficile avec ces connaissances récentes de continuer à prôner la supériorité de l’homme sur le reste du vivant. Pourtant, en continuant à détruire les échelons du vivant qui nous entourent, nous persistons dans un fantasme mortifère. Comment traitons-nous les bactéries de notre intestin en ingérant pesticides et antibiotiques ? Comment traitons-nous notre environnement naturel en déforestant et en érodant sa diversité ? L’humanité doit rapidement faire le deuil de son hégémonie pour ne pas connaître la solitude d’une coquille vide (quand bien même fût-elle augmentée), échouée sur une planète devenue inhabitable. Soyons conscients que nous ne sommes qu’un échelon au même titre que la Terre, l’abeille, l’arbre ou… le virus.