La connexion à la Nature peut également passer par le jardin. Déjà les Égyptiens avaient pu constater les bienfaits du jardinage sur certains maux psychologiques. Au XIXe siècle, le médecin américain Benjamin Rush relate les effets positifs du jardinage sur certaines pathologies mais l’hortithérapie ne commencera à être enseignée dans les universités américaines qu’à partir de 1950. Dans les pays anglo-saxons, la discipline se développe pour soigner les symptômes post-traumatiques liés au stress des soldats américains et anglais après les deux guerres mondiales.
Encore trop peu considérée en Europe, l’hortithérapie est pourtant la source de bien-être et de santé pour de nombreux amateurs des travaux dans le jardin. Les bénéfices sont bien là mais le jardinage peut-il être véritablement considéré, non plus comme le loisir préféré des Français, mais bien comme une approche thérapeutique ?
La psychiatre et psychanalyste anglaise Sue Stuart-Smith semble en être convaincue. Dans son dernier livre L’équilibre du jardinier sorti en 2021 chez Albin Michel, elle apporte les preuves scientifiques du rôle indispensable du jardin à une époque où la déconnexion à la Nature impacte la santé humaine. Elle revient pour cela sur les travaux du pédiatre et psychanalyste Donald Winnicott (1896-1971) ou ceux du psychiatre John Bowlby (1907-1990) mais aussi sur des recherches plus récentes.
L’émergence des healings gardens
Dans les années 1990, l’architecte Clare Cooper Marcus va créer ses premiers healing gardens dans des établissements hospitaliers à San Francisco et de San Diego. Convaincue par les études d’Ulrich et des Kaplan, elle propose des jardins pour immerger les patients dans un environnement naturel et permettre un échange de bons procédés : “tu prends soin de moi et je te soigne”.
Le jardinage présente des bénéfices bien réels sur la santé physique et aussi mentale comme cette action positive sur la confiance en soi, l’optimisme et la joie de vivre relatée dans une étude sud-coréenne de 2013.
En 2020, le chercheur japonais Kotozaki va même jusqu’à évaluer l’impact psychologique du jardinage sur la jeune mère et son enfant. Ainsi, il étudie quinze femmes en post-partum avec des nourrissons de moins d’un an qui ont participé à huit activités de jardinage. Cette étude exploratoire révèle que ces activités ont renforcé la relation mère-enfant, réduit le stress de la maman et l’état émotionnel du bébé.
Si les données de recherches semblent pourtant nombreuses, le déploiement de jardins thérapeutiques restent malheureusement l’initiative de passionnés isolés.
L’hortithérapie se fait timide en France
En France, c’est par conviction que l’infirmière Anne Ribes a créé il y a 20 ans le premier jardin thérapeutique au pavillon des enfants et adolescents autistes à la Pitié-Salpêtrière pour permettre une initiation au jardinage un jour par semaine.
Aujourd’hui à la retraite, elle témoigne : “C’est en soignant la Nature que la Nature nous soigne. Je crois que ça structure réellement les enfants parce qu’ils se rendent compte que quand ils commencent à mettre une graine, il y aura plus tard une pousse et ce sera alors l’émerveillement”. Le Pr Michel Basquin, responsable du service de pédopsychiatrie qui a donné son feu vert à l’époque, partageait la conviction que le chemin de la guérison passait aussi par l’apprentissage des enfants du “prendre soin”, en anglais care, plus simple avec des plantes qu’avec des humains dans leur contexte de troubles.
Le jardin offre ce cadre propice à la naissance d’une plante comme à la renaissance des enfants autistes. Anne Ribes poursuit : “Il y avait ce petit qui ne parlait pas et qui un jour dit “gingembre” en reconnaissant le goût de sa tisane. Il y a comme ça quelque chose qui est sorti de lui grâce à la reconnexion aux sens”.
À l’hôpital Robert-Debré de Paris, Corinne Deparis, cadre de santé et puéricultrice, a pris l’initiative de transformer une terrasse de l’hôpital en potager grâce à l’aide d’une étudiante paysagiste. Si les bénéfices thérapeutiques devront être évalués à long terme, la magie opère déjà chez certains patients : une jeune adolescente déprimée s’est fait surprendre à danser au soleil et un enfant de 2 ans et demi, nourri exclusivement par sonde, est venu respirer des feuilles de menthe comme pour se reconnecter au vivant.
L’hortithérapie bénéfique à tous les âges de la vie
Jérôme Pellissier, auteur du livre Jardins thérapeutiques & hortithérapie (2017) a étudié la manière dont la Nature peut aider les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. L’hortithérapie est particulièrement intéressante dans les maisons de retraite et auprès de malades atteints d’Alzheimer car elle améliore le développement cognitif, les interactions sociales et la motricité.
Toujours chez les patients atteints de cette maladie dégénérative, une publication de Claire Gueib dans Sciences du Vivant (2017) montre une amélioration significative sur les différents aspects de la conscience de soi après l’exposition à un jardin thérapeutique.
À Nancy, un jardin thérapeutique a également vu le jour il y a 10 ans. Thérèse Jonveaux, neurologue à l’hôpital Saint-Julien a participé à ce projet et en constate au quotidien les bienfaits. Elle explique dans le magazine Cerveau & Psycho de mai 2019 : “Un jardin thérapeutique ne se définit pas par des critères « matériels », comme un nombre d’arbres ou une surface donnés, mais en termes de projet : c’est tout simplement un espace vert qui est intégré dans un projet de soin, avec des équipes formées et motivées pour l’utiliser. Le spectre des pathologies auxquelles il peut bénéficier est très large. On a constaté des bienfaits dans les maladies neurodéveloppementales (autisme), psychiatriques (dépression, psychoses, troubles alimentaires), neurologiques… Même en cancérologie, les jardins thérapeutiques commencent à être utilisés : l’institut Curie en a inauguré un en 2009, appelé Graine de vie”.
Si la neurologue admet que le jardin thérapeutique ne guérit pas la maladie d’Alzheimer, elle constate cependant son rôle dans la qualité de vie des personnes touchées. Elle relate : “Nous avions par exemple une patiente qui ne parvenait plus à trouver le mot « rose » quand une orthophoniste lui montrait un dessin ou une photographie de cette fleur. Après une promenade avec elle dans le jardin, son époux est revenu tout heureux en nous confiant qu’elle s’était exclamée : « Quelles belles roses ! ». Toucher les pétales et sentir le parfum des fleurs avait réactivé le souvenir de leur nom dans son esprit”.
La Nature semble donc trouver le chemin des souvenirs grâce à sa capacité à passer par tous nos sens.
Des moyens pour développer l’hortithérapie
Lancé en 2018, le “plan Alzheimer” a recommandé la création de ce type de jardins. Depuis, l’association Jardins et santé attribue tous les deux ans des bourses pour accompagner ces projets. Signe d’un nouvel engouement, elle reçoit aujourd’hui plus de cent demandes à chaque session, contre quelques dizaines il y a dix ans.
Entre les témoignages du terrain et les données des recherches, il semble grand temps que la santé publique prenne le relai des associations pour développer ce type d’outils à mettre à disposition des patients mais aussi des soignants.
Ces derniers apparaissent comme les premiers bénéficiaires de ce type d’aménagement. Thérèse Jonveaux précise : “Au-delà des patients, les soignants en bénéficient aussi. Au cours d’une étude menée au sein de trois établissements, nous avons montré que les jardins atténuent leur stress. Un atout précieux quand on sait les risques de burn-out auxquels ils sont exposés. […] Si vous parvenez à éviter ne serait-ce qu’un seul burn-out chez un soignant, les coûts d’aménagement de votre jardin sont couverts. À lui seul, l’impact des jardins sur la santé publique est donc une importante source d’économies”.
L’hortithérapie fait coup double. Tous à nos sécateurs et sans coupe de budget !