Cette citation est souvent utilisée par les naturopathes pour expliquer une vision de la santé dans laquelle le terrain de l’individu est central pour prévenir de la maladie. Cette phrase est enseignée dans toutes les écoles de Naturopathie et fait partie des jalons historiques qui ont amené à la pensée naturopathique moderne. Mais cette citation ne présente-t-elle pas une vision extrémiste qui est bien loin de la réalité du vivant et qui va même à l’encontre des enjeux d’une santé intégrative ?
Un contexte indispensable
J’ai rarement vu une citation attribuée à autant de personnes : Béchamp, Bernard et même Pasteur sur son lit de mort ! Ce joyeux bazar de paternité révèle bien les dérives qui accompagnent cette phrase : une utilisation qui élude le contexte historique et alimente un conflit stérile entre deux camps, deux visions de la santé. Retournons à la fin du 18e siècle, Antoine Béchamp constate dans ses recherches le pléiomorphisme microbien : en fonction du contexte, le microbe peut devenir l’expression d’une maladie et non plus sa cause. Problème, cette constatation vient relativiser la vision monolithique de Pasteur qui considère le microbe comme l’ennemi à abattre car à l’origine de tous les maux. Il n’en fallait pas plus pour lancer une guerre de dogmes. Chaque camp utilise la caricature pour ridiculiser l’autre, les positions se radicalisent et on arrive à cette opposition binaire : “microbe est tout” vs. “microbe n’est rien”.
Béchamp ?
Avec un peu de recul, j’estime que cette citation n’illustre pas vraiment la conception de santé initiale de Béchamp, qui était beaucoup plus modérée et subtile. Si Béchamp l’a prononcée, ce serait plutôt sur le coup d’un agacement face aux attaques, du style un tweet rageux. Cette phrase est la relique d’une bagarre stérile entre deux visions caricaturales qui s’employaient à prendre le dessus l’une sur l’autre. La médecine pasteurienne a gagné le combat à l’époque mais depuis, les opposants à cette philosophie n’ont de cesse d’exhumer la citation de Béchamp pour critiquer la médecine conventionnelle.
Et si on passait à autre chose ?
Un discours totalitaire n’est que vecteur de clivage. Pourtant, les naturopathes diffusent cette citation sans vraiment prendre conscience de sa dimension dogmatique. Ne pensez-vous pas que nous pouvons faire de la sensibilisation sur le terrain sans retomber dans ces travers passés ? Et puis, les recherches récentes, notamment sur le microbiote, rendent complètement désuète cette citation. Le microbe (virus, bactérie, champignon) fait partie de notre terrain et joue un rôle majeur pour notre immunité. Il n’est donc pas “rien” mais aussi un allié indispensable à notre santé, à notre résistance aux maladies et tout simplement à notre vie. La naturopathie est d’ailleurs particulièrement vigilante à préserver l’équilibre intestinal et à chouchouter le microbiote. N’est-il pas contradictoire de sensibiliser les gens sur les “bons microbes” qui ont un rôle central dans le travail du terrain et en parallèle se référer à une citation qui assène que le “microbe n’est rien” ?
Vers la santé intégrative
J’ai pris conscience de cette contradiction en écoutant le Dr Daniel Pénoël qui lors d’une conférence s’est moqué gentiment des naturopathes et de leur citation préférée. La dimension binaire de cette phrase est en effet très loin de la réalité de la vie qui est tout en nuances et en subtilité. Le vivant est dans une recherche permanente d’équilibre en activant de multiples symbioses et interactions entre le milieu intérieur et l’environnement. Tout ou rien, bien ou mal, cette logique de dualité n’a pas vraiment cours au sein de notre organisme. Il est donc grand temps d’enterrer définitivement cette citation, ou du moins de la relayer aux livres d’Histoire, afin de construire une vision de la santé moins radicale dans laquelle les différentes approches puissent se nourrir et non se combattre, à la manière de la synergie vertueuse entre les microbes et notre organisme.