Phytothérapie : faut-il utiliser des plantes lointaines ?

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Le marché des plantes médicinales, un enjeu écologique et éthique. La phytothérapie, l’utilisation des plantes à des fins médicinales, est une pratique de plus en plus répandue. Mais face à l’essor du marché des plantes médicinales, la question se pose : faut-il utiliser des plantes lointaines ou privilégier des plantes locales ? Cette question est complexe et nécessite de prendre en compte divers facteurs tels que l’origine des plantes, leur culture, leur production et leur impact écologique.

Qu’est-ce qu’une plante lointaine ?

Une plante lointaine, étrangère ou exotique, se définit par opposition à une plante dite “locale”. L’adjectif “local” manque de précision, mais il est communément associé à une région, voire à un pays. Pour un Français, utiliser une plante lointaine reviendrait à aller chercher une plante hors de France ou, pour être un peu moins strict, en dehors de l’Union Européenne.

La notion de plante locale est donc à géométrie variable en fonction de l’espace et du temps.

 

Les plantes : un marché mondial et millénaire

Les plantes médicinales ont circulé en Europe depuis le 9e siècle, notamment grâce à la route de la soie. Hildegarde de Bingen, grande dame de la phytothérapie, utilisait et décrivait des plantes lointaines car elle avait accès au Rhin, une grande route commerciale de l’époque.

Le marché mondial des plantes médicinales est en pleine expansion, avec une augmentation exponentielle depuis un siècle. Dans ce marché, il devient difficile de connaître l’origine de ce qu’on retrouve dans des gélules ou des tisanes.

Tensions sur la production de plantes médicinales

La production locale ne suit pas toujours la demande et les laboratoires cherchent des solutions selon leurs propres critères de qualité et d’éthique. Par exemple, la guerre en Ukraine a provoqué une tension sur la prêle, dont ce pays était un gros producteur.

En consommant de la poudre de prêle des champs, nous avons l’impression de consommer une plante locale, mais est-ce vraiment le cas ? Et même, est-ce vraiment de la prêle des champs ?

Multiplication des aberrations écologiques

Une augmentation de la demande va mécaniquement entraîner des dérives au niveau des circuits d’approvisionnement. Les ressources sauvages sont sous tension un peu partout dans le monde au gré des modes de consommation. Des espèces de plantes sont menacées d’extinction, et la cueillette est souvent l’unique ressource de populations vulnérables et marginalisées.

L’exemple de la griffe du diable

La griffe du diable (Harpagophytum procumbens) est une plante originaire des régions arides du sud de l’Afrique, notamment de Namibie, du Botswana et de l’Afrique du Sud. Elle est réputée pour ses propriétés anti-inflammatoires et analgésiques, et est souvent utilisée pour traiter les douleurs articulaires, les maux de dos et les troubles digestifs.

La plante s’adapte mal aux conditions climatiques et géologiques de l’Europe et de l’Amérique du Nord. C’est donc la totalité du marché occidental de cette plante qui va se servir notamment en Namibie qui fournit 90% de la demande mondiale. Nous précipitons la disparition de la griffe de diable alors même que nous oublions nos alternatives locales comme la reine-des-prés, le saule ou la scrofulaire noueuse.

Pour cette dernière, le constat est d’autant plus édifiant : la scrofulaire noueuse contient les mêmes iridoïdes (harpagoside et harpagide) que l’harpagophytum et on a donc les mêmes indications sur les inflammations articulaires, des milliers de kilomètres en moins !

 

La relocalisation, une option envisageable

Contrairement à l’harpagophytum, d’autres plantes lointaines à la mode peuvent se cultiver au plus proche des marchés européens même si toutes les plantes médicinales ne sont pas cultivables.

L’ashwagandha (Withania somnifera) pousse très bien chez nous. De la famille de la tomate (solanacées), elle est facile à cultiver et finalement assez résistante.

Toujours dans les solanacées, le goji (Lycium barbarum) peut vite donner des fruits si son exposition lui est favorable. J’étais à Paris le week-end dernier et sur un boulevard, un goji dans une haie était recouvert de fruits, que certainement personne ne va ramasser. Bien dommage pour un si grand antioxydant…

La maca (Lepidium meyenii) pousse sur les hauts plateaux péruviens à plus de 4000 mètres d’altitude. Les graines se trouvent facilement sur internet. Elle se plante en plein soleil dès le mois de mars dans des sols riches en matières organiques mais bien drainés. La maca est très résistante au froid et demande peu d’eau. On peut donc l’installer partout en France.

D’autres exemples de plantes relocalisables :

  • Schisandra chinensis
  • le tulsi (Ocimum tenuiflorum)
  • la scutellaire du Baïkal (Scutellaria baicalensis)
  • le gingembre japonais (Zingiber mioga)
  • l’épazote (Dysphania ambrosioides)

Kokopelli développe une gamme semences de plantes médicinales exotiques.

Et je termine par une grande plante médicinale chinoise qui a été installée avec succès en Bretagne : le thé (camelia sinensis). La qualité gustative semble au rendez-vous car des thés bretons (de Michel Thévot) ont déjà gagné des prix internationaux. Combien de temps faudra-t-il pour considérer le thé comme une plante bretonne ?

L’influence de biotope sur les principes actifs de la plante

L’aromathérapie scientifique a démontré l’influence des biotopes sur la composition des huiles essentielles, ce qui a donné les chémotypes. C’est Pierre Franchomme dans les années 70 qui a utilisé la chromatographie pour montrer la variation de la composition chimique pour une même plante en fonction de l’environnement dans lequel elle a poussé.

L’exemple le plus connu est celui du thym (Thymus vulgaris) qui va posséder jusqu’à 7 chémotypes différents (thymol, thujanol, linalol, carvacrol, etc.) en fonction de sa zone de culture.

Alors est-ce qu’une plante qui pousse dans son biotope d’origine sera meilleure pour la santé qu’une plante qu’on a délocalisée ? Tout ce qu’on peut affirmer, c’est qu’elle sera certainement différente d’un point de vue chimique mais ça n’en fait pas une plante forcément moins bonne d’un point de vue santé ! Tout dépend des propriétés recherchées.

Il faut bien se garder de tout jugement actif qui reviendrait à mépriser la qualité d’une plante qui n’aurait pas poussé dans son biotope d’origine.Par exemple, la marque Avelenn cultive et transforme des plantes à Saint-Jacut-Les-Pins (Morbihan) pour en faire des huiles essentielles et des hydrolats bio. Quand ils se sont lancés dans la culture de lavandes, de thyms et d’hélichryses italienne, ils étaient nombreux à douter de la qualité des huiles essentielles issues de plantes méditerranéennes au milieu de la Bretagne.

Avelenn a envoyé ses produits au labo pour des analyses et les principes actifs recherchés étaient bien là en qualité, ce qui prouvait la haute qualité de leurs huiles essentielles.

Le biotope joue sur la plante mais l’amour du producteur tout autant : le travail du sol, l’usage ou non de pesticide, le savoir-faire dans la transformation, etc. Il faut absolument éviter une lecture trop simpliste où seule l’origine de la plante prévaut dans l’évaluation de sa qualité.

Des croyances persistent sur la différence de qualité entre les plantes sauvages et les plantes cultivées.

Le cordyceps est un exemple frappant de l’impact de la demande croissante sur certaines plantes médicinales. Ce champignon parasite d’une chenille, connu comme un tonique du Qi, est principalement trouvé en Himalaya. Depuis 1975, son prix a été multiplié par 10 000, mettant en évidence l’engouement pour la forme sauvage du cordyceps, bien que la forme cultivée existe également. En effet, 75% de la production mondiale de cordyceps sauvage provient du Tibet, ce qui souligne les enjeux environnementaux et économiques liés à l’exploitation de cette ressource précieuse.

 

Comment faire les bons choix ?

  1. Apprenez à utiliser prioritairement les plantes que vous avez à portée de main, que vous cultivez ou que vous pouvez cueillir éthiquement lors de vos balades.
  2. Privilégiez les plantes qui sont implantées depuis longtemps dans votre biotope car il y a plus de chances qu’elles soient adaptées à votre métabolisme et à microbiote. Nous évoluons avec notre environnement et de génération en génération, notre organisme s’adapte aux ressources qui l’entourent.
  3. Sourcez des producteurs qui ont une éthique (qualité, sourcing, bio, circuit court) pour avoir les meilleures garanties sur des produits manufacturés.
  4. Plus un produit est transformé, plus facile est la triche. Avec les formes brutes où vous pouvez vérifier la couleur et l’odeur, vous ne ferez avoir qu’une seule fois !
  5. Plus un produit vient de loin, plus il y a d’intermédiaires et donc des risques de malfaçons.

Pour aller plus loin dans les réflexions entre plantes d’ici et d’ailleurs :

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